Publié le 20 Juillet 2019

Cher ami,

 

Comment allez-vous ? Notre dernière conversation a été brutalement interrompue par un importun. Nous n’avons pas pu finir notre passionnant échange sur les événements de ces derniers jours. La ville se prépare aux festivités de l’été, les nouveaux trottoirs du cours Mirabeau sont déjà fréquentés assidûment par une foule de touristes, une vraie tour de Babel ! Hier soir en sortant du cinéma nous avons fait un tour en ville, à ces heures tardives, c’est un vrai bonheur. Les restaurants étaient bondés, le bruissement des couverts avait remplacé celui des étourneaux. Allez-vous vous bientôt partir en vacances dans votre maison des Alpes ? Si vous avez l’occasion de descendre en ville, on pourrait se retrouver un de ces soirs pour profiter encore un peu de la fraîcheur des fontaines sous les arcades vertes du cours. Vous vous souvenez, «On va sous les tilleuls verts de la promenade » Une salade et un petit rosé à la terrasse d’une brasserie, peut-être ? En compagnie de Rimbaud et Ferré ! Ce serai merveilleux.

 

Je termine un livre sur le destin peu banal d’une femme américaine du siècle dernier, qui pensait être vouée au malheur ce qui va finalement se concrétiser au fil de sa vie. Destinée…fatalité …karma…hasard ? : « Les chûtes » de Joyce Carol Oates. Passionnant. Par ces chaleurs, le Niagara est bienvenu. Je vous le prêterai. Je vous écris de mon jardin sous les roses qui embaument. Il est 10 heures et déjà le soleil perce sous la tonnelle, je ne vais pas tarder à rentrer. L’ombre des platanes du jardin a été saccagée par des élagueurs un peu trop zélés. Depuis la tempête des branches étaient tombées et certaines menaçaient la toiture. Une maison est une source de plaisirs, sans doute, mais aussi de soucis. A mesure que l’âge avance la moindre contrariété prend des dimensions hors de proportion. Vous devez connaître vous aussi ces moments de découragement où l’on se dit à quoi bon ? J’ai toujours eu conscience de l’instabilité des choses de la vie, de l’irrévocabilité de ses affres. Mektoub, il faut faire avec. Voilà que je me prends pour Ariah, l’héroïne du roman. Plus prosaïquement, J’ai préparé des tomates farcies et un flan, ma fille vient déjeuner avec Émilie pour préparer l’anniversaire de Jean qui va avoir 45 ans…Comme le temps passe vite. Pour mes petits enfants je suis et à leurs yeux sans doute depuis toujours, une vieille femme, même si j’ai, paraît-il, de « bons restes » quelle horreur !!! Je préfèrerais dans ces conditions avoir « une beauté intérieure ». Parfois, je ne me reconnais plus moi même. Qui suis-je derrière ce masque fripé ? Jaime faire les confitures, le jardinage, la lecture, la musique, la peinture, écrire, tricoter et pire broder, toutes occupations, qui certes ne me définissent pas entièrement, mais sont d’une époque révolue qui fait date. Et pourtant… j’ai été jeune, j’ai été moi aussi nonchalante, insouciante et j’ai même aimé…à la folie, c’est dire. Mais arrêtons là l’histoire ancienne, elle n’est plus d’actualité ! Les oiseaux autour de moi gazouillent, les cigales chantent, la terre tourne et le soleil brille au zénith, indifférents à mes préoccupations humaines. Et que sont elles face aux dérives du monde ? L’information n’a pas éradiqué la folie, mais plutôt développé à son encontre un fatalisme d’impuissance. Les marchands d’armes et les dictateurs ont de l’avenir. Je ne voudrai pas gâcher votre journée par mes divagations pessimistes. Nous faisons, semble-t’il, encore partis de ce monde et il est difficile de s’en extraire, comme de l’ignorer.

 

Nous nous croiserons sûrement ici ou là, la ville est petite. Le samedi, je vais très souvent faire un tour au marché, à la bibliothèque ou à la librairie de Provence, sur le cours qui va probablement fermer, malgré l’indignation et les pétitions de ses clients assidus, comme moi. Une librairie qui ferme c’est une source qui se perd. Et par chez nous une source c’est précieux. Par bonheur, le nouveau musée Gaumont dans le quartier Mazarin vient d’être inauguré, avec une exposition sur Cezanne, comme cela va sans dire. L’ancien conservatoire de musique est méconnaissable. Avec un salon de thé dans le jardin « very délicious ». Comme vous le voyez, les occasions de participer à la vie de la cité ne manquent pas. Je vous souhaite une bonne santé et la félicité qui va avec.

 

Un dernier détail, sans importance : Je porte rarement un chapeau à voilette, vous ne portez sans doute jamais un canotier, nous ne nous reconnaîtrons pas. Tant pis ou tant mieux, nous ne le saurons peut-être jamais. Notre relation épistolaire permet toutes les extravagances. Elle a le goût pimenté du secret, de la clandestinité et la douceur d’un tableau de Sisley. Cultivons la encore un peu. Avec mes amitiés.

                                                                       Gabrielle

 

 

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Rédigé par ab irato

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