Fatigue

Publié le 26 Janvier 2012

03.2006

Je suis fatiguée de suivre la troupe, je les laisse filer. Je n’ai  plus envie de discuter, d’écouter, j’ai envie de me retrouver seule, d’attendre autre chose. Je redeviens sauvage. La compagnie de mes semblables ne m’intéresse plus. On m’appelle, il faut suivre. Qu’est-ce que je fais là ?  Je n’ai rien à faire avec ces gens. Je n’échange avec eux que des banalités à faire pleurer, que du superficiel, que de l’inconséquent, mais suis-je capable d’autre chose ?  Je n’ai pas tellement envie d’aller plus loin, et puis aller où ?  Le besoin de se  protéger, la peur de l’incompréhension, des complications qui s’en suivent immanquablement, la fatigue devant l’effort à fournir que je sens inutile. La vieillesse me joue des tours. Les obligations de la vie m’indisposent de plus en plus. Je ne me sens en cohésion avec rien. Pourtant j’ai connu la ferveur de l’échange, la satisfaction d’une communauté d’idée,   la fraternité du partage. Mais je savais déjà qu’il ne s’agissait que de moments fugaces où chacun se transcende dans une ivresse commune passagère.

Les mots « ce n’est pas juste », « je n’ai pas mérité ça » « pourquoi moi ? » « C’est incompréhensible ! » « C’est  inimaginable ! »  m’indisposent au plus haut point. Il est complètement fallacieux de croire qu’il y a une explication logique aux incohérences des choses.  Il faut sans autre possibilité prendre la vie comme elle vient, sans espérer  autre chose que ce qu’elle peut donner jour après jour, le bon, le moins bon et quelquefois le carrément mauvais. Sans explication rationnelle ou spirituelle  Nous ne pouvons agir qu’à la marge, dans des choix contingents dont nous comprenons  et subissons souvent les conséquences que longtemps après ... Avec l’espoir chevillé au corps d’esquiver encore une fois les plus grosses gouttes.

 

Je comprends de mieux en mieux la désespérance du monde, sa brutalité, sa violence, son désordre, puisque rien n’est cohérent, pourquoi chercher à s’inscrire dans un schéma préétabli, pourquoi se plier à un ordre illégitime, mais existe-t-il un ordre légitime ? A une directive qui ne nous convient pas, dont nous ne tirons pas le profit espéré. Modèle, que  nous savons  aujourd’hui  reposer sur aucune base rationnelle, si ce n’est  celle de faire survivre, de reproduire  le même prototype indéfiniment. Pourquoi jouer le jeu ? La jeunesse est là, impérative, les Hommes de pouvoir veulent le pouvoir, la plèbe populaire veut  sa part du gâteau et tous veulent prioritairement profiter au maximum des possibilités du jour point. En tuant le peut-être, le réalisme philosophique a annihilé l’espoir dans un avenir, dans un ailleurs meilleur,  a fait de maintenant la valeur essentielle, avec sa face négative : le tout, tout de suite par n’importe quel moyen à n’importe quel prix. Malheureusement le maintenant n’est pas la panacée universelle du bonheur pour tous : Il y a tous les éclopés de la vie qui ont besoin eux de passer à autre chose. D’où confusion, désordre et incompréhension croissantes entre les divers protagonistes, (les jeunes, les vieux, les étrangers, les riches, les pauvres, les ouvriers, les patrons, les possédants, les laissés pour compte…). Ce précepte a également consciencieusement scié la branche sur laquelle était construite toute une organisation  de vie, archaïque, mais qui avait fait ses preuves durant des siècles pour soumettre les peuples et conjurer  la question cruciale : Pourquoi certains auraient tout et d’autres rien ? Qui peut croire encore qu’il y a là un ordre de droit divin, établi, immuable. Que les derniers seront les premiers, que Dieu reconnaîtra les siens, que le bien mal acquis ne profite jamais, que le monde est une vallée de larmes avec son bonheur dans l’au-delà et autre fadaises dont nous nous sommes laissés avec complaisance bourrer le crâne depuis des générations. Dieu est mort et avec lui l’explication facile et  trompeuse du monde. Le communisme est mort et avec lui l’espoir naïf d’un monde meilleur. Je ne regrette pas cet aveuglement de bête de somme, mais je ne peux m’empêcher de constater le vide et les dégâts qui s’en suivent.  Nous ne trouvons plus rien de logique dans l’état du monde. Nous ne savons plus vers quoi ou qui nous tourner, la remise en cause est permanente, la suspicion de règle, nous ne voulons plus de modèle sur piédestal, car nous connaissons mieux aujourd’hui les dédales de l’esprit, les méandres de la pensée, la complexité des personnalités, nous nous méfions des idéologies et surtout des idéologues. Mais l’individualisme à outrance peut-il nous faire vivre ensemble ? Pour l’instant nous sommes en jachère, nous avons tous notre part de vérité, mais nous n’arrivons plus à en faire un cheminement commun. Cela pourrait devenir une évolution positive, une époque charnière où le vieux monde est remis à plat, où tout est possible, tout recommence autrement. « Du passé faisons table rase ». De la discussion, de l’échange, de la réflexion, des études, des explications, des affirmations, des polémiques, des invectives, des débats en veux-tu en voilà. Que va-t-il sortir du chapeau : Marine LE PEN ? Pour essayer autre chose, pour voir, par désespoir,  par ignorance, par appartenance idéologique. Les vieilles chimères ont décidément la vie dure, trois petits tours et puis les revoici, les revoilà. Rien de bien nouveau dans tout ça, des vieilles recettes remises au goût du jour, enrobées de sucre pour cacher l’amertume. Aucune invention, aucune transcendance pour s’exalter tant soit peu, aucun projet n’anime vraiment le landernau politique, de simples touches de pastel pour conserver à tout prix l’ordre « parfait » de l’économie de marché. Quelques velléités réformistes,  de la morale à tous les étages. Bref, un encéphalogramme plat.

 

L’information s’est mondialisée et avec la culture accessible d’un clic nous avons découvert un monde infiniment complexe qui demande analyse, prospection, introspection investigation qui exige d’avoir les clefs d’une culture que sont loin d’avoir la vox populi et qu’on se garde bien de leur rendre plus facilement accessible.  L’école de la république mise en coupe claire, fait ce qu’elle peut, mais l’héritage social est un bagage beaucoup mieux adapté à sa diffusion.  La réflexion est mère de révolution. Il faut donc anesthésier le peuple. D’où une information, formation télévisuelle indigente et même coupable où le marché fait là aussi son office dégradant. Une théorie de l’urgence avec une précipitation continuelle dans l’émotionnel.  Une perte de plus en plus tangible de contrôle  par le peuple (le parlement)  des décisions politiques qui favorise une démocratie de façade et une oligarchie en toute puissance. Comment mettre en œuvre la justice sociale en partageant des richesses détenues principalement par ceux qui contrôlent le pouvoir politique ?

 

Bon me voilà, malgré tout, bien loin des sentiers balisés. Pourtant le sentier est là,  il grimpe à travers la garrigue, avec ses aiguiers cachés au-dessus de St Saturnin, en plein soleil, la colline blanche grillée avec ses cigales en concert. On s’arrête pour attendre les retardataires, on boit un coup, on souffle, on s’éponge, l’effort comme exaltation de subterfuge. J’ai mal aux pieds. Enfin un petit coin tranquille et ombragé près d’un aiguier pour déjeuner. Il est magnifique, creusé dans la roche, protégé par une borie avec des rigoles taillées dans le roc pour récolter l’eau de pluie. L’imagination et le travail de l’homme pour sa survie sont phénoménaux. Je me demande toujours pourquoi il s’est installé dans des environnements si peu propices à son confort, à sa prospérité et ça dans le monde entier, dans des déserts, sur les plus hauts sommets, à flanc de montagne, près de marécages, en zone sismique, près de deltas inondables…  On s’émerveille devant la créativité, l’inventivité, la pugnacité de l’homme sans plus penser à la somme de souffrances  que de tels travaux ont occasionnée,  à l’exigence, à la contrainte qu’ils impliquent, aux vies sacrifiées à tels territoires,  à telles  architectures, cathédrales, châteaux ou pyramides édifiés  le plus souvent pour   l’immortalité de celui qui l’a voulue, portés des siècles plus tard à l’admiration béate de touristes  devant le « génie humain ». Dérisoire de nos vies dérisoires.

                                                                     Mireille MOUTTE

 

 

 

Rédigé par ab irato

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C
Ce que j'ai écrit sur face book :<br /> Encore un excellent article de ma non moins excellente amie Mimi, une autodidacte au talent sans limite, l'humilité en plus.
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